(extrait) Mayotte : “ La neige et les tramways”



    Said nous a un jour dit que bien qu’ayant été enseignant toute sa vie, il n’avait pourtant jamais (vraiment) aimé lire. Ou plutôt, qu’avec le temps, il s’était désintéressé de la chose. Il avait lu les classiques comme tout le monde, mais voilà, lui, la neige et les tramways, ça ne lui parlait pas.

Ce n’est pas que le reste du monde ne le touche pas, mais il aimerait qu’on enchante un peu son quotidien à lui, qui vaut tout autant que celui d’un autre, alors pourquoi personne n’en parle ? Said, depuis quelques années, s’est donc mis à écrire des textes. Des histoires et des essais qui parlent de sa vie, des siens et de ses échecs ; de ce qu’il connait.

Aucun de ses écrits n’a paru et il ne nous a pas non plus montré le moindre manuscrit.

Il ne nous a même jamais lu une ligne. Alors de notre côté, cette désincarnation a créé de la légende.

On imagine que ce sont de grandes oeuvres, qu’il y décrit les tréfonds de l’âme mahoraise, parle de lutte, d’amour, d’idiomes, de territoires. Cela nous touche, alors on espère que ces ouvrages traitent de ce qu’il nous a raconté : de religion, de mythes, d’ilots, de crabes, d’hélicoptères. 
Et forcément de fantômes : ceux qui dorment au fond de la mer, ceux qui se cachent dans la forêt, ceux qui ne sont juste plus là. Ceux du passé et ceux du présent. Certains sont transparents, d’autres sont invisibles, d’autres encore se sont effacés.

Mais finalement, tu restes vivant combien de temps avant que l’on t’incarne ?

-Victor Ducastel-




























Nicolas Melemis